L’audience solennelle de rentrée du tribunal de grande instance (TGI) de Belfort s’est tenue ce lundi matin. Elle a été marquée par l’arrivée du nouveau procureur de la République, Éric Plantier, mais surtout par un mouvement de contestation des avocats. Une illustration des débats qui agitent l’univers judiciaire.
10 h 05. Le président du tribunal de grande instance de Belfort, Alain Troilo, ouvre l’audience solennelle de rentrée. Il donne la parole au procureur de la République par intérim, Philippe Pin. Il doit appeler Éric Plantier, nouveau procureur de la République de Belfort. Celui-ci doit être installé officiellement. Mais la salle s’agite. Un brouhaha monte. L’ensemble des avocats présents pour cette cérémonie ouvrant l’année judiciaire quitte la salle d’audience. Ils dénoncent le mépris à leur égard en leur refusant la parole (lire ci-dessous), comme de coutume. « J’aurais aimé pouvoir dire madame le bâtonnier », n’a donc pas oublié de lancer Éric Plantier lors de sa prise de parole, alors qu’il saluait toutes les personnalités présentes. Il a regretté l’inélégance de ce geste avant de dresser les grandes lignes de sa mission, même s’il est conscient que ce mouvement visait l’institution.
Lutte contre les stupéfiants
Conformément à la feuille de route définie par le procureur général, il va suivre trois objectifs prioritaires. La première priorité est la lutte contre les violences et l’insécurité routière. La seconde concerne la lutte contre les violences non crapuleuses. Ce sont les violences commises, par exemple, dans le cercle familial. « Ce sont des violences purement gratuites et souvent dévastatrice pour la victime », précise le procureur. Enfin, ses efforts se concentreront sur la lutte contre toutes formes d’addictions. Dans ce cadre il va accompagner la direction départementale de la sécurité publique dans sa lutte contre les stupéfiants, l’une de ses priorités. Ces infractions ont représenté 6 % de l’ensemble des infractions pénales. Celui qui a notamment travaillé à la section criminalité organisée au parquet de Lyon détient une expérience solide pour répondre à ce défi
Le parquet de Belfort a été saisi 11 045 fois en 2018 (9 431 en 2017, soit une hausse de 17 %). Les affaires poursuivables sont au nombre de 3 450 et le nombre de réponses pénales s’élèvent à 2 805, soit un taux de 81,21 %. « Un chiffre qui n’est pas inquiétant (il était de 90,82 % en 2017, NDLR), car il y a eu une vague d’affaires classées sans suite en accord avec la direction départementale de la sécurité publique », informe Philippe Pin, vice-procureur, qui a assuré l’intérim de procureur de la République depuis le départ d’Ariane Combarel, en septembre.
Dernière audience pour le TGI de Belfort ?
L’autre sujet clé concerne le rapprochement du tribunal de grande instance de Belfort avec celui de Montbéliard. Lundi marquait donc peut-être la dernière audience solennelle du tribunal de grande instance de Belfort dans le ressort qu’on lui connait. « Ce sont deux juridictions qui travaillent ensemble et qui ont besoin l’une de l’autre », relève Philippe Pin. Montbéliard et Belfort sont deux juridictions moyennes. Les rassembler peut solidifier les deux juridictions, Belfort et Montbéliard partageant déjà, notamment, le pôle de l’instruction.
Si les magistrats se projettent dans cette fusion, ils n’oublient pas de regretter les cinq postes vacants dans différents services. « C’est énorme pour une juridiction moyenne comme la nôtre, déplore le président du tribunal, Alain Troilo, tout en rappelant : À Belfort, la justice est rendue dans des délais raisonnables. » Par contre, les magistrats rappellent la nécessité de disposer de moyens : « Une justice efficace ne peut se réduire à une logique productiviste », insiste alors le président. Et de citer Saint-Exupéry : « Pour ce qui est de l’avenir, il ne s’agit pas de prévoir, mais de le rendre possible. »
« Cette réforme aboutira à un éloignement du justiciable »
« C’est la première fois depuis des décennies que le bâtonnier du barreau de Belfort n’a pas la parole à l’occasion de l’audience solennelle de rentrée », regrette Alexandra Mougin, bâtonnière du barreau de Belfort, en fonction depuis début janvier. Cette prise de parole – « qui témoignait de leur reconnaissance comme acteur indispensable à l’œuvre de justice », dixit le communiqué distribué au public – est un usage dans la juridiction de la cour d’appel de Besançon. Cette pratique n’est par contre pas inscrite dans le code de l’organisation judiciaire. « Nous avons une consœur, avec 42 ans d’ancienneté, qui a toujours connu cela », rappelle cependant la bâtonnière. Elle regrette que cette décision réponde à « une instruction bien précise du premier président de la cour d’appel ». « On n’a pas voulu nous entendre sur ce que l’on à dire », estime-t-elle. Les avocats regrettent en effet l’éloignement croissant du justiciable avec le tribunal et l’avocat, pointant du doigt la fusion des tribunaux de grande instance et les tribunaux d’instance, au coeur du projet de réforme de la justice actuellement en cours d’examen par les parlementaires. Même si aucun tribunal ne doit fermer, c’est une finalité qui inquiète les avocats. L’ordre dénonce aussi la création d’une procédure dématérialisée pour régler les petits litiges, sans audience au tribunal. Les avocats craignent un traitement à la chaine et rappelle que tous les Français n’ont pas accès à Internet et que ceux ayant accès ne savent pas forcément l’utiliser. « Sous couvert de vouloir désengorger les tribunaux, réduire les coûts de fonctionnement et moderniser les procédures, cette réforme aboutira au contraire à un éloignement du justiciable de ses tribunaux, au recul des droits de la défense et à une déshumanisation de la justice ou à sa privatisation », dénonce l’ordre dans son communiqué.