La dernière loi de programmation militaire met l’accent sur le déploiement de la réserve. Que dit-elle ?
Un article de la loi de programmation militaire 2024-2030 est consacré aux réserves opérationnelles. Le fait d’avoir consacré un tel article montre tout l’intérêt et la poursuite de ce qui était inscrit dans la loi précédente ; elle ancre les principes actés dès le Livre blanc de 2013. Le contexte (suspension du service militaire en 1997, puis l’intérêt marqué du retour d’une réserve sur volontariat en 2013, la création, après les attentats de 2015, d’une Garde nationale contribuant au développement des réserves intégrées aux forces armées et aux forces de sécurité (gendarmerie et police), les enjeux des crises sanitaires post covid ou climatiques, NDLR) montre la nécessité d’avoir un complément aux forces d’active dans le cadre de la défense et la sécurité globale.
La loi marque un certain nombre de principes forts, quantitatifs et qualitatifs. Nous passerons par exemple entre 2024 et 2030 pour les réserves opérationnelles des armées, de 40 000 à 80 000 femmes et hommes ; Les réserves militaires ont un statut particulier et correspondent dans les armées aux réserves de l’armée de Terre, de la Marine, de l’Armée de l’air et de l’espace, puis à un certain de nombre de directions et services de soutien (le service de santé des armées, le service de l’énergie opérationnelle…, NDLR). Deuxième chose importante de cette loi, les âges. Aujourd’hui, il est possible de vivre son engagement comme réserviste de 17 à 72 ans. Un médecin, à 72 ans, peut toujours faire des prescriptions et être utile. D’autres principes sont mis en place. Ainsi, en fonction de l’emploi, il y aura des aptitudes physiques adaptées. Il n’y aura donc plus une aptitude physique générale qui pouvait être discriminante pour intégrer un certain nombre de réservistes. Ils pourront désormais rejoindre la réserve et apporter des expertises essentielles en cas de crise.
Un élément clé de la mise en place de cette réserve, c’est le contexte. On a évoqué les attentats. On peut aussi évoquer le contexte ukrainien, voire le conflit israëlo-palestinien. Par ailleurs, on observe une difficulté des armées à recruter, peut être liée à un creux démographique. La réserve doit-elle compenser ?
Première chose: les contextes de pays en guerre ne peuvent pas permettre de comparaison avec notre pays. Deuxième point: la réserve française, basée sur le volontariat, n’est pas comparable aux formes de réserves de conscription évoquée dans les pays cités.
Dans le périmètre de la Garde nationale, nous comptons 76 000 réservistes. Nous devons les doubler et fidéliser les effectifs pour répondre aux enjeux opérationnels. Notre ambition est de rejoindre la volonté d’engagement des citoyens français et celle des employeurs, afin de favoriser l’employabilité et la valorisation des réservistes. L’engagement dans la réserve contribue au lien Nation-armées, à mieux se connaître. Etre prêt pour rejoindre des camarades à résoudre une crise demande des formations en amont et donc de réaliser des jours de réserve pour disposer des qualifications. Le réserviste remplit en effet les mêmes missions [qu’un soldat d’active].
On a vu récemment un exercice de grande ampleur dans l’Allier, pour des réservistes. Cela va-t-il dans le sens de renforcer cette réserve ?
C’est intéressant que vous parliez de cet exercice mettant en valeur les réservistes. Il est important de mieux faire connaître l’active comme la réserve, et faire témoigner ceux qui vivent ce riche et exigeant parcours, source de cohésion et de forces morales. En règle générale, comme les réservistes sont intégrés avec les forces d’active, on n’en parle moins alors qu’ils sont essentiels. Chaque jour, 7 000 réservistes sont engagés dans nos missions.
Je n’ai pas répondu à votre question sur les difficultés de recrutement. Je ne veux pas l’éluder. Qu’il y ait aujourd’hui des difficultés de recrutement, c’est valable pour tout le monde. Tous les DRH le disent. Est-ce que [faciliter la réserve] aide à recruter ? Oui, je le pense. Les jeunes (ou moins jeunes) regardent si leur entreprise, leur collectivité locale ou leur administration publique favorisent ou non la réserve, si elles donnent un sens à leur engagement et si elles les reconnaîtront. Et est-ce que la réserve sert à mieux faire connaitre les forces armées ou de sécurité, par [une découverte] avant d’intégrer plus tard l’active ? Oui. Le 24e régiment d’infanterie (Ile-de-France) est un régiment de réserve de l’armée de Terre. Beaucoup de ses jeunes s’engagent après leur période de réserve. Ils ont besoin, pour certains, d’un « sas » plus grand, plus long par exemple qu’une seule Préparation Militaire Découverte (PMD) proposée par un régiment. Il faudra confirmer le bon impact en le mesurant dans quelques années, mais nous pouvons considérer, de façon intuitive, que nous pouvons déjà mieux faire connaître les armées grâce à la réserve. La réserve offre ce « trait d’union » naturel entre le monde civil et le monde militaire.
Voyez-vous un mouvement dans les entreprises pour proposer plus que le cadre légal et accompagner le déploiement de la réserve. L’armée ne fera rien sans les entreprises…
La défense est globale et tout le monde doit pouvoir y concourir. La réserve va contribuer à cette augmentation de résilience nécessaire. Aujourd’hui, pour les entreprises de plus de 50 salariés, vous avez une obligation légale à 10 jours (contre 8 dans la dernière loi de programmation militaire, NDLR). Pour les employeurs publics, cette obligation est de 30 jours. Le désir d’engagement sociétal est palpable chez les entreprises ou les établissements d’enseignement qui veulent aller au-delà des obligations légales. Ces employeurs citoyens en conventionnant avec la Garde nationale vont permettre aux salariés, aux agents ou aux étudiants de faire plus facilement leur jour de réserve sur leur temps de travail, ou avec une forte réactivité en cas de besoin immédiat. Ils conservent tout ou partie de leur rémunération en plus de leur traitement financier militaire. Il nous est crucial de les valoriser en venant voir les réservistes de l’ESTA et du groupe NEDEY automobiles. En signant une convention, ils se forgent et forgent un esprit citoyen qui se diffusent avec grand bénéfice. Grâce à cette reconnaissance, les étudiants sont beaucoup plus à l’aise pour se mettre en uniforme et dire aux autres de les rejoindre. Ce sont les meilleurs ambassadeurs. Ce soir (ce jeudi, NDLR), le groupe Nedey automobiles rejoint les partenaires de la défense. Nous avons un peu moins de 1 000 conventions [avec des employeurs]. Est-ce que ça augmente ? Oui. Nous en avons signé plus de 160 en quelques mois. Ce ne sont pas simplement de grands groupes qui veulent faire simplement un effet de communication. Ce sont aussi des groupes intermédiaires désireux de servir autrement la Nation par ce geste.
Quand on voit les changements de la conflictualité, l’armée a-t-elle des besoins spécifiques ? Dans le cyber, le renseignement…
Oui. Vous pouvez aisément comprendre les métiers ou compétences essentielles dans un contexte dégradé ; des besoins en logistique ou de santé notamment. [Pour le service de santé], nous avons conventionné, par exemple, avec le laboratoire Roche. Il y avait deux salariés réservistes il y a quelques mois. Ils seront bientôt 26. Ils y avaient des compétences duales ; en biologie ou en chimie. Certains, sur volontariat pourront réaliser des jours de réserves au sein de la pharmacie centrale des armées. Nous sommes parfois sur des logiques de compétences proches où nous pouvons valoriser une compétence civile vers une compétence militaire et réciproquement. Et parfois nous sommes aussi sur cette forme de réserve volontaire, où le réserviste veut faire autre chose. Je suis dans la cyber, mais je veux faire du Sentinelle, acquérir d’autres savoir-faire et un savoir-être grâce à l’armée. Aujourd’hui, vous avez, pour certaines entreprises, la possibilité d’intégrer dans les critères RSE (responsabilité sociétale des entreprises, NDLR) l’engagement dans la réserve, dans les performances extra-financières ; cela deviendra une donnée scrutée du rapport annuel.
Pensez-vous que cette question de la défense et de la compréhension des forces armées est mieux perçue par la population aujourd’hui ?
Un sondage Ifop récent montre le grand respect continu de la population envers les forces armées et les forces de sécurité. Et ce n’est pas lié qu’au contexte. C’est lié au fait que les Français aiment leurs composantes de défense et de sécurité nationale sans forcément mesurer les apports qu’ils pourraient leur apporter. Nous n’avons pas un régiment par département. Les unités militaires sont moins nombreuses donc moins accessibles. Aujourd’hui, le travail d’information est clé et les réservistes vont sans nul doute y contribuer.